Echo de la journée du 20 Novembre 2015
Posted on décembre 11th, 2015
L’enfant, la mort, le deuil.
Vendredi 20 novembre 2015
La SFPEADA a tenu sa Journée annuelle d’Automne à Paris, et le thème, fixé depuis plus d’un an, a pris avec les évènements de terreur du 13 novembre une acuité des plus vives. Le Conseil d’Administration a maintenu cette journée, d’autant plus, comme le précisait le président pour annoncer cette décision sur notre site, qu’au travers de l’effroi, de la douleur et de la révolte suscités par les évènements, la maintenir permettrait aux participants de continuer à vivre et de penser ensemble en tant que praticiens des soins psychiques destinés aux enfants, adolescents et leur famille.
Dans ses objectifs initiaux, le thème de cette journée cherchait à explorer ces zones d’ombre de nos existences personnelles et professionnelles planant autour d’une question se trouvant plutôt mise de côté ordinairement. En nous interrogeant sur ce que l’on peut dire aux enfants si brutalement et si violemment endeuillés, ces évènements nous interrogent à la fois sur la brutalité des liens coupés tant pour de jeunes enfants que pour des parents. C’est une génération, celle des trentenaires, qui a été touchée laissant de nombreux enfants jeunes brutalement et violemment endeuillés. C’est à toutes les victimes de ces assassinats qu’a été dédiée une minute de silence.
Le sujet était grave et difficile, mais les regards croisés des interventions ont fait circuler, avec sensibilité et émotion, une parole riche sur les situations quotidiennes ou exceptionnelles.
Dès l’introduction, Michel Wawrzyniak a présenté et commenté un tableau de famille réalisé par un peintre suédois, datant de 1770, où figurent à la fois les enfants vivants et les enfants morts, illustrant « le merveilleux entêtement de la vie ». La mort ne peut être séparée de la vie, fantômes et visiteurs hantent et/ou soutiennent, en permanence ou par intermittence, les sous-bassements de nos existences.
Un enfant peut-il faire son deuil ? Question posée par Eric Delassus, philosophe. Son exposé, centré par la pensée de Spinoza, introduit des notions fondamentales : la connaissance de la mort n’est acquise que par l’expérience vague que nous en donne la mort d’autrui. La mort n’est pas inscrite dans l’être vivant, elle est un accident inévitable, liée à une cause extérieure qui vient troubler son organisation.
Comment l’enfant peut-il accepter la mort de l’autre alors qu’il n’a pas de connaissance intrinsèque de la mort ? La première fois entraine une incompréhension, d’autant plus que la mort est de plus en plus invisible dans notre mode de vie contemporain. Par son statut d’enfant, d’infans, il est doublement démuni, il n’a pas l’expérience et il ne possède pas la parole. Son déficit de mots, l’empêche de tenir la mort à distance, faute de mots il est totalement livré à la douleur.
Peut-il faire son deuil ? Faire son deuil, c’est accepter la disparition d’un autre qui fait partie de soi et qui reste vivant en soi. C’est très différent de la résignation, ce n’est pas une soumission passive mais c’est admettre ce qui ne pouvait pas ne pas se produire. Cela suppose que l’on ait conscience de l’irréversibilité, qui n’est pas présente chez le petit enfant quand il n’y a pas eu de contact avec la mort. Tout au plus, peut-il en avoir une intuition avec l’anéantissement ressenti lors de l’abandon, de la séparation, mais celle-ci n’est pas irréversible…Autre point d’achoppement l’absence de langage qui lui permet mal de se distancier de la réalité. En l’absence de paroles, pour objectiver le réel, il faut lui donner la parole, c’est-à-dire l’interroger mais surtout lui parler. Il a besoin de la parole des autres, bien vivants, pour réaliser ce qui lui serait impensable seul.
Parler vrai à l’enfant – “la parrêsia”. de Michel Foucault -, le fait de ne pas avoir peur du mot « mort », permet de traverser le deuil. Avoir le courage de parler vrai, dire la vérité sur soi-même, être authentique, permet de faire advenir la parole chez l’enfant qui ne se manifeste pas seulement par des mots mais par son expérience propre. La mort de l’autre permet de découvrir sa propre mort et d’apprendre à se penser dans un ensemble plus grand que soi-même. Prendre la parole, c’est l’aider à construire son deuil, lui montrer que la mort doit être assumée. L’absence de parole empêche de faire son deuil.
De même les rites sont une façon de donner sens, ce sont des pratiques qui permettent de réaliser activement la disparition, ils humanisent, ils permettent de prendre le temps des adieux, dans un contexte de liens aux autres.
Seule la vie mérite notre intérêt. L’enfant doit être accompagné par ceux qui l’entourent. On ne fait pas son deuil seul, il faut tisser des liens et maintenir par la mémoire ceux qu’on a perdu. Ceci permet d’accéder à une solidité plus grande et à une certaine joie. On ne meurt que lorsqu’on a fini de vivre. (F Dolto)
Hélène Romano, psychologue, spécialiste des situations traumatiques, a dressé une clinique du deuil en insistant sur les variations que vont introduire l’âge, la culture d’origine. Elle insiste sur la méconnaissance de la souffrance psychique de l’enfant petit.
La temporalité post traumatique n’est ni systématique, ni linéaire, le traumatisme suspend le temps. Le traumatisme n’est pas forcement immédiat mais peut se réactiver à des périodes de vulnérabilité. Lorsqu’on rencontre l’enfant immédiatement après, connaître les circonstances précises est très important.
Les réactions immédiates de l’enfant sont elles adaptées ou inadaptées (fuite panique, inhibition stuporeuse, conduite automatique ….) ? Des troubles immédiats précèdent souvent des troubles post traumatiques ultérieurs. De même, si les réactions des parents sont inadaptées, l’enfant les repère tout de suite et le parent n’est plus le parent. Jouer un rôle intermédiaire, transitionnel entre parents et enfants est fondamental pour restaurer des liens de confiance entre eux.
Les manifestations du deuil sont multiples, fonction de l’âge : chez le bébé, elles sont souvent surtout des traces sensorielles ou des manifestations somatiques (troubles du tonus, hypervigilance, hyper ou hypotonie, hypersomnie ….) Chez l’adolescent, ce sont davantage soit des troubles extériorisés avec des mises en danger, soit des comportements d’anxiété voire même la constitution de phobie (refus de quitter la maison). L’enfant, lorsqu’il a été présent, a souvent des comportements régressifs, voire des jeux traumatiques remis en scène avec différents niveau d’expression psychique, parfois uniquement moteur.
L’enfant endeuillé n’est pas forcément triste tout de suite, pas forcément très longtemps, mais cela peut réapparaitre brutalement et même longtemps après, soit sous la forme de tristesse, de retrait ou de jeux traumatiques. L’enfant peut avoir peur de montrer son chagrin si le parent n’accepte pas de monter le sien. Or l’émotion est structurante, si le parent ne montre pas son chagrin, l’enfant peut conclure que l’expressivité du chagrin est interdite. La plupart ne se plaignent pas, sauf parfois par le corps, accidents multiples, douleurs pour pouvoir pleurer… Il est important de soutenir ceux qui vont accompagner l’enfant pour les aider à exprimer leur propre souffrance et à affronter les questions des enfants.
L’enfant doit-il voir le corps ? Ce contact est souvent important, surtout s’il y a eu mort en direct. L’enfant doit être accompagné dans cette démarche. Si le corps ne peut pas être vu, il faut trouver, un lieu pour le représenter, cérémonie plaque commémorative …., un moyen de l’y associer symboliquement, ritualiser un endroit où penser le mort.
Le deuil est une réaction psychique adaptée, il faut laisser aux parents le soin d’y faire face en les confortant dans leurs compétences à aider, à comprendre les deuils de leurs enfants. La souffrance psychique doit être entendu mais sans pour autant psychiatriser ou psychologiser.
Quelques pistes pour les professionnels :
- Penser la temporalité en dehors d’une linéarité
- Bien comprendre le contexte et prendre soin de ceux qui s’occupent de l’enfant
- Aider à la construction de liens intersubjectifs mis à mal par la mort.
- Développer la parole de l’enfant en l’aidant à construire sa propre réponse : « Toi qu’est ce que tu en penses ? », restaurer le lien d’altérité.
- S’intéresser à la fratrie et être attentifs aux différents mouvements : culpabilité, rivalité….
Le Pr Philippe Hubert, pédiatre en réanimation pédiatrique à l’hopital Necker Enfants Malades traite la question : comment accompagner un patient en fin de vie et sa famille ?
Après avoir rappelé l’importance de la fin de vie en service de réanimation pédiatrique car, dans les pays développés, 2sur 3 des enfants y meurent (1sur 5 seulement pour les adultes), 50% dans la première année de vie. La plupart des décès (50%) sont liés à des décisions de limitation de soin, donc réfléchis et programmés. De plus l’augmentation des moyens de réanimation a créé des situations nouvelles de survie plus ou moins artificielles. Mais est-il raisonnable de poursuivre des suppléances dans tous les cas ?
Son exposé s’articule autour de : Quelle place donner aux parents dans les décisions de limitation des traitements ? Avec l’avancée de plusieurs dates constituant autant d’étapes :
– 1985 : Première formalisation : surtout ne pas faire participer les parents à une décision de ce type car trop lourd pour eux et source de culpabilité. Informer les parents, mais sans les impliquer, la décision est de la responsabilité médicale
– 1998 : le journal Libération informe que très régulièrement des arrêts des traitements ont lieu en réanimation sans connaissance des parents.
– 2005 : Recommandations sur la limitation de traitement en réanimation pédiatrique : interdiction de l’obstination déraisonnable, refus de l’euthanasie, droits pour tous aux soins palliatifs. Abandonner l’obstination déraisonnable conduit à la réélaboration d’un projet de soin : chaque traitement, chaque geste médical doit être revu pour savoir s’il est bénéfique ou pas au confort de l’enfant.
Mais qu’est ce que l’on en dit aux parents ?
Jusqu’où aller dans des infos dramatiques, doit on supprimer ou pas tout espoir ?
Aujourd’hui on pratique la décision partagée selon le niveau d’implication souhaité par les parents.
Que dit la loi ?
Les parents ont un avis consultatif, en dernier recours c’est le médecin qui a le dernier mot. Pratiquement, la décision est transmise aux parents après le staff dans un entretien avec la présence de l’infirmière. On ne parle plus de risque de création de culpabilité, car il n’y a pas de lien direct retrouvé par les études entre implication dans la décision et culpabilité.
Comment pratique t-on ?
La temporalité est importante : délai entre le moment où on propose la décision et la réponse des parents, délai entre l’acceptation et la réalisation de cette décision. On propose aux parents d’être présents, on associe l’infirmière et les médecins référents. Ils ont la possibilité d’une chambre mortuaire qui leur permet de poursuivre l’accompagnement tel qu’ils le souhaitent. On les informe des démarches, on les oriente vers les associations et les bénévoles, on les accompagne dans leur choix des rites ou les contacts. Quelques temps après on adressera aux parents endeuillés un courrier mais notre grande question reste : quel est le devenir de ces parents ?
Daniel Oppenheim, psychiatre psychanalyste, nous a présenté les interventions du psychiatre auprès de l’enfant risquant de mourir et sa famille.
Il a articulé son exposé en deux temps celui de la mort traditionnelle (mort apprivoisée) et celui de la mort inhumaine qui concerne de plus en plus de personnes, les éléments les plus effrayants se retrouvant hors de la maladie, dans les évènements de vie dramatiques, les situations limites où la barbarie est à l’œuvre.
Que souhaite l’enfant face à la mort à venir ?
Il a besoin de la permanence de ce qui a donné un sens à sa vie ; permanence de ses parents, de sa place dans la famille et la société, que ses parents et le monde continue à exister après lui, que lui-même continue à exister dans ce qu’il entend laisser… L’angoisse la plus forte c’est d’être déjà hors champs, d’être nulle part, de ne plus pouvoir communiquer ni avec sa famille ni avec ses pairs. Il est rassuré si ses parents ne sont pas figés dans leur deuil anticipé, s’il peut continuer à être l’enfant mal élevé et insupportable pour rester lui-même, malgré les transformations. Il refuse d’être embaumé avant l’heure, pour cela il a besoin de parents et d’interlocuteurs bien vivants.
Il s’interroge sur le mourir, c’est quoi ? Dans quelles conditions ? Les éléments les plus effrayants du mourir sont la douleur, la transformation du corps, ce corps qui lui devient étranger…..dont il craint qu’il parte en morceaux, dont il n’a plus d’image intérieure, de maitrise….Pour imaginer il s’appuie sur les images et les récits qu’il partage avec sa génération et ses parents.
Il éprouve aussi la perte de la temporalité, la perte identitaire de sa valeur, de sa beauté, du sens même de sa vie : sa vie a-t-elle valu le coup ? Il craint que ses proches ne se disent : « si c’était pour en arriver là …. » ou encore « il eut mieux valu qu’il ne soit pas né… ». Il craint de perdre sa capacité de penser, face à la difficulté d’en parler, d’être compris…. Tout cela l’amène à relire l’histoire familiale sur plusieurs générations : sa mort est-elle répétitive inscrite dans l’histoire familiale et/ou exceptionnelle ? Histoire unique ou destin maudit ??
Après cette clinique de la mort apprivoisée, Daniel Oppenheim nous entraine dans les liens entre la mort à venir et les traumatismes transgénérationnels.
La proximité de la mort de l’enfant peut réactiver le trauma antérieur et rendre l’accompagnement beaucoup plus difficile, voire conduire à des comportements paradoxaux. Dans ces situations difficiles, se confronter aux traumas du passé avec tact et prudence mais aussi volontarisme peut permettre d’ouvrir la situation, de faire un va et vient entre passé et présent, et ainsi d’ouvrir ce trauma enkysté qui gêne les interactions réelles. La mort inhumaine nous devient de plus en plus familière, elle est omniprésente dans les images réalistes que nous recevons, mais elle est désincarnée, déshumanisée, ni l’exécuteur ni les victimes, qui sont interchangeables, n’ont d’identité, elles représentent seulement une masse de chair à tuer.
Avec les attentats du 13 novembre 2015 les choses se sont encore modifiées : il n’y a plus de règles de guerre, n’importe qui peut déclarer « Tu peux, tu dois tuer » et l’exécution se fait elle aussi non par des hommes dont ce serait le métier ou la fonction mais par n’importe qui. Les attentats suicide apporte un changement important, c’est l’homme lui-même qui devient une arme. Cela complexifie la confrontation à la mort qui peut avoir lieu n’importe où et n’importe quand .C’est une double deshumanisation de la mort qui vient nous iinterroger.
Enfin, quatre ateliers avec des présentations cliniques ont permis des échanges nourris et riches :
- Accompagner les familles confrontées au deuil d’un enfant avec Michel Vignes (psychiatre) et Delphine Cayzac (psychologue)
- Accompagner les équipes de soin confrontées à la mort des enfants avec Laurence Caeymaex (pédiatre, néonatologie) Marie-Michèle Bourrat (psychiatre, psychanalyste)
- Le deuil chez l’enfant avec des troubles mentaux avec Jean Michel Coq (psychologue clinicien, maître de Conférences) et Fabrice de Sainte Mareville (psychiatre)
- La mort annoncée d’un enfant : accompagner l’impossible…. avec Agnès Suc (pédiatre) et Patricia Timsit (psychiatre)