Réponse aux propos tenus par la secrétaire d’état aux handicapés sur les rapports entre psychiatrie et spectre de l’autisme.

Posted on avril 29th, 2019

Découvrez ci-dessous une motion internationale envoyée par les principales sociétés européennes, signée par notre Société,  en réponse aux propos tenus par la secrétaire d’état aux handicapés sur les rapports entre psychiatrie et spectre de l’autisme.

Les propos tenus par la secrétaire d’état française aux personnes handicapées ne sont pas simplement préjudiciables aux patients souffrant d’autisme (quel qu’en soit le degré) et à leur famille. Ils trahissent aussi une profonde méconnaissance de ce qu’est la psychiatrie.
La psychiatrie est une spécialité médicale dont le domaine d’expertise concerne les interactions entre le fonctionnement intellectuel (dit « cognitif »), les affects, la vie sociale et les fonctions cérébrales. Ces interactions n’ont rien d’ « imaginaire » et leur nature a été maintes fois mise en évidence par des travaux de recherche. Il est des périodes de son développement où le cerveau est particulièrement sensible aux événements extérieurs (stress, environnement agressif), aussi bien chez le nouveau-né que chez l’enfant*. Des réponses émotionnelles ou comportementales (elles-mêmes sous la dépendance de dispositions innées ou acquises) vont être déclenchées par de tels types d’événements. Les modifications qui en résultent vont avoir à leur tour un impact sur le développement du cerveau, y compris sur son développement cognitif.


Il s’agit donc de modifications en « cascades », qui passent par nombre d’étapes intermédiaires somatiques (immunologiques, inflammatoires etc). Ces « cascades » constituent le champ même d’exploration, aussi bien théorique que thérapeutique de la psychiatrie. Il faut souligner également que ces modifications en cascade peuvent avoir dans certaines conditions des conséquences positives (on peut évoquer la résilience ou le développement de dons particuliers).
On a pu dire- et ce raccourci est assez juste – que la psychiatrie étudiait les troubles de la communication entre cerveau « social », cerveau « affectif » et cerveau « cognitif ». Or les troubles précoces de cette communication caractérisent d’une façon frappante ce qui est observé dans le spectre de l’autisme. Ce que l’on appelait assez maladroitement auparavant « syndrome d’Asperger de haut niveau » correspond à des sujets dont les capacité cognitives se sont parfaitement développées (voire « hyperdéveloppées ») mais dont les aptitudes sociales sont restées un peu en retrait. A l’opposé dans les cas d’autisme plus sévères il semble que les aptitudes sociales et cognitives aient été altérées précocement et ce d’une façon simultanée.
L’étude de ces dysharmonies de développement sont donc au coeur de la recherche psychiatrique dans une optique il convient de souligner parfaitement médicale : comprendre pour pouvoir traiter, aider et in fine guérir quand le trouble entraîne un handicap patent.

Pour contredire radicalement les propos de Mme Cluzel on pourrait dire, et le petit résumé précèdent ne permet pas de conclure dans un autre sens, qu’il n’y a « rien de plus spécifiquement psychiatrique » (dans une acceptation scientifique) que le champ de l’autisme. Et ce absolument pas dans un désir d’accaparement corporatiste. Mais comment peut-on imaginer guérir un trouble sans se donner les moyens de le comprendre ? Proposera-t-on une approche de la maladie d’Alzheimer qui fasse totalement l’impasse sur les mécanismes de la mémoire. Une approche du cancer qui fasse totalement l’impasse sur l’interaction des facteurs génétiques et infectieux ?

Enfin, et surtout, les propos de Mme Cluzel ne sont pas injustifiés que sur le plan théorique. Ils ont également des conséquences catastrophiques au plan pratique. On sait que le dépistage, l’identification et le diagnostic précoces d’un perturbation neuro-développementale en améliore considérablement le pronostic ultérieur (d’innombrables études vont dans ce sens). Qui en l’absence du psychiatre va se charger du dépistage et du diagnostic ? Uniquement les intervenants sociaux ou les professeurs des écoles (outre de stricts problèmes de formation et de compétence, ils ont peut-être d’autres missions à accomplir) ? Les efforts initiés dans le domaine des stratégies de soins psychiatriques par le ministère de tutelle risquent d’être réduits à néant.

La position de la secrétaire d’état est d’une grande irresponsabilité à double titre. Bloquer la recherche en psychiatrie dans le domaine de l’autisme empêcherait de comprendre les mécanismes de la pathologie et donc de mettre en place les mesures de protection et de prévention indispensables. Supprimer l’accès aux psychiatres anéantirait les possibilités de dépistage et de détection précoces, donc de proposer les stratégies d’aide les plus appropriées pour les patients et leur famille.

Signataires :

 

EBC EPA ECNP GAMIAN EUFAMI

 

* Les interactions précoces entre l’environnement et une éventuelle vulnérabilité génétique ont été à ce jours étudiées chez plusieurs milliers d’enfant, dans de nombreux troubles. Ces interactions donnent lieu à des modifications dites épigénétiques qui ont pu être suivies dans de grandes cohortes. Mentionnons également que des modifications épigénétiques ont été observées lors de changement de stratégies d’apprentissage ou lors de certaines interventions psychothérapeutiques, ce qui ouvre des voies particulièrement riches.